Pourquoi des espions étrangers se sont-ils engagés pour libérer la France ?
Ce travail a été réalisé par Maryne Saunier, My-My Trieu et Lauriane Pouget.
Le mot « espion »
vient du mot « espier » datant de l’époque médiévale,
qui signifie « épier ». La mission de l’espion
consiste à ne pas se faire repérer tout en récoltant des
renseignements sur l’ennemi, en diffusant des faux, ou
désorganisant leur adversaire. L’espionnage existe depuis
l’Antiquité, notamment chez les Grecs et les Romains.
L’espionnage
a aussi été utilisé pendant
la Seconde Guerre Mondiale. Cette guerre a mobilisé le monde entier
entre le 1er
septembre 1939 et le 2 septembre 1945 (elle est considérée comme
une guerre totale, qui a donc mobilisé les populations civiles, les
esprits et l’économie). Adolf Hitler, après avoir accédé au
pouvoir en 1933, mena une Blitzkrieg (une ‘‘Guerre-Éclair’’)
avec ses troupes nazies afin de conquérir des territoires d’Europe,
dont le Nord de la France, pour étendre son Empire, le IIIe Reich.
En France, d’un côté, le
gouvernement français collabora avec le régime Nazi, et de l’autre
le général De Gaulle (qui s’était réfugié à Londres) lança
un appel le 18 juin 1940 invitant les Français à résister. Suite à
cela, répondant à l’injonction du général, une résistance fut
mise en place, et de nombreux réseaux d’espionnage furent
développés, que ce soient chez les Anglais, les Allemands et tous
les autres pays participants.
Le
Royaume-Uni, avec Winston Churchill comme Premier Ministre, prit part
à la guerre, aidé par les États-Unis et tous les autres pays
alliés, pour libérer les pays occupés dont la France. Nous nous
demanderons donc pourquoi des espions étrangers se sont engagés
pour libérer notre pays. Pour répondre à cela, nous allons étudier
dans un premier temps deux réseaux d’espionnage étrangers, puis
dans un second temps, nous illustrerons nos propos en présentant
deux espions d’origine européenne et deux autres espions venant du
reste du monde.
I/ Les réseaux d’espionnage étrangers
1. Qu’est-ce qu’un réseau d’espionnage ?
Tout
d’abord, les réseaux d’espionnage, contrairement aux réseaux de
résistance qui devaient faire des pillages pour trouver des moyens
financiers, pouvaient se reposer sur l’aide des gouvernements pour
financer leurs activités dangereuses.
Les
réseaux d’espionnage comme les réseaux de résistance sont des
groupes sociaux (c’est-à-dire des ensembles d’individus
possédant des caractéristiques communes, un sentiment
d’appartenance et des intérêts communs). Ils ont été mis en
place par deux gouvernements alliés de longues dates. Ils
participèrent de manière directe à la libération de la France,
dans le but principal de combattre la tyrannie hitlérienne et de
garantir les valeurs fondamentales. Ces valeurs sont la liberté
d’une part, c’est-à-dire la capacité de conserver la
possibilité de pouvoir agir selon sa propre volonté, sans subir
aucune contrainte politique et/ou sociale, et d’autre part de
défendre le principe d’égalité, qui permet d’être traité de
la même manière dans ses droits et ses devoirs.
La
longue relation liant les États-Unis, le Royaume-Uni et la France
les poussa à unir leurs forces. Ainsi, même si on peut observer
dans ces trois sociétés des normes1,
des habitudes, des cultures différentes, elles se sont unies autour
de la défense de valeurs communes : celles de la démocratie. Cette
politique vise à fonder un système basé sur l’égalité des
droits et des chances et à garantir la liberté.
2. Un réseau d’espionnage américain : l’OSS
Contrairement
au Deuxième Bureau des français qui possédait une longue
expérience, l’Office of Strategic Services, (le « Bureau des
Services Stratégiques » soit l’OSS) était une agence de
renseignement, née aux États-Unis le 13 Juin 1942, pour aider les
anglais pendant cette guerre et fortifier le réseau américain.
Malgré sa jeunesse et son inexpérience, ce réseau rapidement
opérationnel concurrença efficacement ses adversaires et porta
secours au réseau anglais.
Ce
fut William J. Donovan, militaire américain, qui apporta l’idée
dans son pays, après un voyage à Londres en été 1940, où il
rencontra le Premier Ministre Winston Churchill qui lui révéla les
secrets des renseignements britanniques.
Contre
un ennemi commun, la solution la plus évidente est de faire barrage
face à lui, et pour cela réunir un maximum d’alliés ; on appelle
cela une solidarité collective. Les mouvements de résistance sont
donc de la solidarité
organisée. William Donovan
y
découvrit alors l’art des opérations secrètes, de l’espionnage,
du sabotage, ainsi que des actions clandestines.
Après
avoir convaincu le président Roosevelt de l’importance d’un
service secret pour les États-Unis, ce dernier accepta de créer le
13 juillet 1942 l’OSS. Donovan fut nommé au poste de coordinateur
de l’information et directeur de l’OSS le 11 Juillet 1942.
L’OSS
avait pour mission de collecter des informations et de conduire des
actions « clandestines » et « non ordonnées »,
telles que le sabotage, la désinformation, l’enlèvement et
l’assassinat. Elle intervient dans plusieurs régions du monde,
notamment en Afrique du Nord où l’Afrika Korps d’Hitler, sous le
commandement du Maréchal Rommel affrontait les Alliés.
En
France, cette organisation effectua de nombreuses missions allant de
la collecte d’informations classique à l’implication de nombreux
agents dans des opérations de grande envergure comme Jedburgh
(opération qui nécessita la participation du BCRA français, de la
SOE, de l’OSS et d’autres réseaux d’espionnage comme ceux des
Pays-Bas).
La
contribution de l’OSS vis-à-vis des Alliés se divisait en deux
axes. D’abord, dans l’aide qu’elle apporta aux Alliés. Leurs
intérêts étaient souvent dénués d’arrière-pensée politique
et résultaient plus d’un besoin d’être ‘‘un héros’’
(figure très présente aux États-Unis, le héros est un soldat
patriotique qui accomplit des actions dans le but de sauver et de
protéger son pays). En sociaux, le héros est une personne qui
transgresse positivement les normes de sa société et reçoit une
sanction positive, soit par exemple des regards plein d’admiration.
De
plus, le patriotisme, un sentiment partagé d’appartenance pour son
pays, a éveillé chez ses habitants un sentiment d’unité, un
attachement profond et un dévouement à la patrie. Il s’accompagne
souvent de la volonté de protéger militairement son pays, en cas
d’attaque extérieure. En ce temps, les espions de l’OSS
agissaient, pour préserver les valeurs de la démocratie, non pas
dans leur pays, mais en Europe, notamment en France face à la menace
nazie.
Démantelé
à la fin des années 1945, l’OSS fut remplacée par la CIA. Ce
réseau d’espionnage était composé de divers individus, hommes et
femmes, faisant partie de l’élite de la promotion 41 (les
meilleurs diplômés de l’université de la côté Est), de
familles riches du pays, d’autres qui étaient faussaires, ou
encore artistes d’un cirque. Au total, 13 000 personnes y
appartenaient en 1944. Leurs relations, leurs richesses et leurs
talents étaient convoités par les dirigeants de l’OSS.
Ils
s’inspirèrent énormément des services de renseignement
britanniques. Il y avait des linguistes, des gérants de budget, des
économistes prévisionnistes et d’analystes de nouvelles de
l’étranger, et enfin des espions. Ces derniers étaient des
novices formés selon les méthodes anglaises d’espionnage. De
nombreuses armes furent mises au point comme le « Tante
Marie », une sorte de pâte de gâteau qui est capable
d’exploser comme une dynamite ou le sous-marin « une-place »
utile lors d’opération de sabotage, appelé "Belle au bois
dormant".
3. Un réseau d’espionnage britannique : le SOE
Toutefois,
avant même la création de l’OSS, qui deviendra plus tard la très
célèbre CIA, les Britanniques créèrent leur propre service
d’espionnage. C’est
en
effet entre
le 16 et le 22 juillet 1940 que Winston Churchill, Premier Ministre
britannique de l’époque, signa l’acte
de création
du Special Operations Executive (dissout le 30 juin 1946).
Issu
du Military Intelligence Research (le MIR, le service de
renseignements militaires détaché du ministère de la Guerre), et
la section D détachée du MI 6
(service de renseignement), ce service d’action
surnommé le ‘‘SOE’’ avait pour mission de ‘‘mettre le
feu à l’Europe’’ (littéralement «
And now, set Europe
ablaze ! »).
Ses
agents prenaient part à des actes de sabotages, d’intoxications et
de guérillas dans les zones occupées et formaient des
ressortissants étrangers à l’espionnage. Le SOE ne répond de ses
actes qu’à Churchill et le ministère de la Guerre économique
(Ministry
of Economic Warfare). Le chef principal du SOE était Sir Hugh
Dalton, un économiste, qui a été sous-secrétaire d’État aux
Affaires étrangères (de 1929 à 1931), puis ministre du Commerce
(de 1940 à 1962).
Les
activités du SOE en France, cette «créature singulière» (selon
l’historien M. Foot, spécialiste du SOE et auteur du SOE
in France : An
Account of the Work of the British Special Operations Executive in
France, 1940-1944 (Government Official History, une version
« officielle » de l’histoire du SOE commandée par le
gouvernement), sont supervisées par huit sections basées à Londres
ou à Alger. Deux sections retiennent l’attention : la section
F, sous le contrôle des Anglais, et la section RF, sous le contrôle
de De Gaulle.
Les
Allemands vont créer des organisations pour les contrer, comme
l’Abwehr, le service de renseignement de la Wehrmacht dirigé par
l’amiral Wilhelm Canaris. En 1940, cette organisation était plus
présente que la Gestapo (police politique au service d’Hitler) ,
mais celle-ci va finalement l’absorber en 1944. Il y a une
opposition entre les valeurs et les objectifs du SOE et la Gestapo
car les Allemands visent à tuer
pour
leur idéologie tandis que les Alliés ont pour but de protéger
leurs pays et leurs principes (liberté, égalité).
Les
agents travaillant pour le SOE doivent avoir une connaissance du pays
et de la langue, un goût pour l’action, des nerfs solides et en
même temps l’esprit d’équipe, et enfin un sens de la politique.
Les ressortissants des pays occupés et/ou étrangers sont souvent
devenus des espions. La France apparaît comme LE pays à libérer de
l’occupation allemande : politiquement c’est une alliée de
longue date du Royaume-Uni et des Etats-Unis, elle a déjà un bras
armé grâce aux mouvements de résistance, et géographiquement elle
est idéalement placée pour lancer des frappes aériennes, des chars
, des actions de sabotage…
II/ Espions européens : Forest Frederick Edward Yeo-Thomas et Hans-Thilo Schmidt
De
nombreux espions européens participèrent à cette guerre, qu’ils
soient Nazis ou Alliés. Leur normes et valeurs3
différaient au point que certaines d’entre elles pouvaient
entrer en conflits.
Nous
avons fait le choix de vous présenter deux espions européens de
nationalité différente et travaillant pour des réseaux
d’espionnage différents : un espion Anglais travaillant pour
le SOE et un espion Allemand, pour le service de renseignement
français.
1. Un espion britannique engagé pour libérer la France.
Né le 17
juin 1902 à Londres, Forest Frederick Edward Yeo-Thomas est un
britannique qui, ayant fait ses études en France, parle couramment
le français et l’anglais.
Il a donc
intégré lors de sa phase de socialisation primaire les valeurs de
la République Française transmises notamment par l’école. La
socialisation primaire se passe lors de la petite enfance et
l’adolescence, soit lorsque l’enfant est malléable (telle une
éponge ou une page blanche sur laquelle la culture vient s’écrire).
Elle est délibérée (comme à l’école ou par répétition des
informations) ou inconsciente (l’enfant apprend par imprégnation,
par observation).
Marié
et père de deux filles, il fut successivement un ancien apprenti
mécanicien chez Rolls Royce, un comptable dans une agence de voyage,
puis, dans les dernières années de l’avant-guerre, à Paris, un
directeur de la maison de haute-couture Molyneux.
Durant
la Drôle de Guerre (3 septembre 1939 au 10 mai 1940), il fut
interprète dans la RAF (la Royal Air Force, c’est-à-dire
l’aviation britannique). Enfin, à l’été 1940, il devient
officier de renseignement au 308e
groupe de chasse polonais basé à Badington, et rejoint (deux ans
après, le 3 février 1942) la section RF du SOE, recruté par Eric
Piquet-Wicks.
Accompagné
par le colonel Passy ("Arquebuse"), il est parachuté dans
la nuit du 26 au 27 février 1943 près de Lyons-la-Forêt. De là,
ils doivent tous les deux rejoindre Paris pour retrouver Pierre
Brossolette ("Brumaire"), autre espion les ayant précédé
en France à la fin du mois de janvier. Quelle est sa mission ?
Enquêter sur la Résistance intérieure française, ses capacités
d’action paramilitaire, ses éventuels projets politiques, sa
position vis-à-vis du général de Gaulle et l’état d’esprit
des Français par rapport à la Résistance, de l’État français
et de la Collaboration. Cette mission s’appela ‘‘SEAHORSE’’.
Après
avoir assisté à la création des Comités de coordination civile et
militaire de zone Nord, il retourne en Angleterre par Westland
Lysander
dans la nuit du 15 au 16 avril 1943, accompagné de Brossolette et
Passy. Il fut un agent essentiel pour soutenir l’appui que
fournissait Winston Churchill au général De Gaulle et ce, contre
l’avis des Américains.
Sa
seconde mission en France se nomma ‘‘MARIE-CLAIRE’’. Son but
était de recenser les moyens de l’action armée en France et les
besoins en armes des maquis pour ensuite travailler à renforcer la
logistique de l’organisation paramilitaire de la Résistance.
Parachuté près d’Angoulême dans la nuit du 18 au 19 septembre
1943 avec Pierre Brossolette, il enquêta et obtint des
renseignements permettant de contrer l’arrestation de nombreux
patriotes. Par six fois, Forest Yeo-Thomas manqua d’être arrêté.
Sans
s’arrêter à ce succès, les deux hommes continuèrent leur
mission. Ils réunissent, le 6 octobre à Paris, les responsables des
mouvements et ceux du Bureau des opérations aériennes en zone nord
pour une séance de conciliation. Les 26 et 27 octobre, c’est au
tour des chefs régionaux de zone sud du Service national Maquis
d’être réunis, puis du Comité militaire de zone nord. Le 2
novembre, il part en tournée avec Michel Brault, chef national du
service des maquis, pour se faire une idée des formations existantes
et de leurs besoins. Enfin, dans la nuit du 15 au 16 novembre, il
retourne, seul, en Angleterre avec, sur lui, les archives du
Renseignement britannique sauvé d’une maison surveillée par la
Gestapo. Là-bas,
Yeo-Thomas devient adjoint de LH Dismore (alors le nouveau commandant
de la section RF) où il est chargé de la liaison avec les
opérations de terrain. Après avoir plaidé la cause de la
Résistance à Winston Churchill, il apprend l’arrestation de
Pierre Brossolette et de Émile Bollaert (haut-fonctionnaire et homme
politique français). Il organisa leur évasion et se fit parachuté
en France, avec l’aide de Dismore, sous le nom de guerre
« Shelley » dans la nuit du 24 au 25 février 1944.
Malheureusement, et en dépit de ses précautions, il sera arrêté
le 21 mars par la Gestapo.
Ceux-ci
le reconnaîtront et, appliquant les consignes, Yeo-Thomas déclinera
sa véritable identité et son grade, censé lui permettre, en
théorie, de bénéficier des droits de la guerre. Il se fera
néanmoins torturer de diverses manières. Cette mission de sauvetage
fut un échec complet : Pierre Brossolette se suicide le 22 mars
après avoir été identifié, « l’interrogatoire » de
Yeo-Thomas se poursuit pendant deux mois et il contracta la gangrène
qui manqua de lui faire perdre un bras.
Après
avoir échoué à deux tentatives d’évasion, il sera envoyé à la
prison de Fresnes en isolement puis, le 17 juillet 1944, sans avoir
fourni le moindre renseignement, il fut transféré au camp de
Royallieu à Compiègne. Après deux nouvelles tentatives d’évasions
(elles aussi infructueuses), il est déporté avec trente-six autres
prisonniers au camp de concentration de Buchenwald le 8 août pour y
arriver le 15. Deux semaines plus tard, le 10 septembre, seize
d’entre eux sont exécutés et peu de temps après, onze autres
détenus sont fusillés le 8 octobre.
Yeo-Thomas,
quant à lui, met au point, en octobre, une stratégie permettant de
fuir le camp. Cette dernière, basée sur la substitution d’identité,
permettra alors à trois espions de s’échapper : Harry
Peulevé, Stéphane Hessel et lui-même prendront, aidés par des
responsables du camp convaincus par Yeo-Thomas, l’identité de
trois autres prisonniers morts du typhus. Ainsi, notre espion devient
Maurice Chouquet, décédé le 13 octobre. Stéphane Hessel,
résistant français d’origine allemande, diplomate et militant
politique de gauche, dira (pour un livre réalisé à partir des
archives britanniques de 1940 à 1981) : « Le médecin
avait dit à Yeo-Thomas deux personnes, il en a obtenu trois, il
voulait qu’on en sauve le plus possible, quitte à lui-même
laisser sa place. » et « C’était un véritable héros.
Je crois qu’il se savait porteur d’une importante mission ».
Suite
à cela, Yeo-Thomas est envoyé au kommando Wille à Gleina (en
Allemagne) le 8 novembre 1944. Puis, en janvier 1945, il est
transféré au camp de Rehmsdorf en Saxe-Anhalt. Néanmoins, après
une tentative d’évasion ratée, il est intercepté par une
patrouille allemande à qui il déclama sa nationalité française
(il fut ensuite transféré dans un camp de prisonniers de guerre
français près de Marienburg).
Le
16 avril 1945, il retenta le coup avec un groupe d’une vingtaine de
prisonniers, en plein jour. Dix sont tués, les autres se dispersent
en petits groupes. Après trois jours sans nourriture, Yeo-Thomas se
sépara de ses compagnons pour finalement être repris une semaine
après, à environ 700 mètres des lignes américaines.
Enfin,
quelques jours après, il s’échappa de nouveau avec un petit
groupe de dix prisonniers français, qu’il conduit jusqu’aux
lignes américaines. Et le 8 mai 1945, jour même du « VE-day »
(« Victory in Europe Day »), il arriva à Paris où il
dîna avec le major Thackwaite et Josée Dupuis, au club des
officiers britanniques du faubourg Saint-Honoré.
Forest
Frederick Edward Yeo-Thomas, espion de la section RF, fut aussi un
témoin clé dans le procès de Nuremberg qui se tient en 1946 pour
identifier les responsables du camp de Buchenwald. Il quitta l’armée
avec le grade de Wing Commander (équivalent au grade de
lieutenant-colonel en France) pour reprendre un travail dans une
maison de haute couture parisienne en 1946 et en 1950, il devint le
délégué en France de la Federation of British Industries. Sa vie
se termina le 26 février 1964, à l’âge de 62 ans, chez lui à
Paris, des suites d’une hémorragie. Il est aujourd’hui enterré
au Brookwood Cemetery, dans le Surrey (près de Londres).
Dans
le cadre de ses missions, il porta plusieurs noms de codes :
‘‘Shelley",
"Tommy",
‘‘Kenneth
Dodkin",
‘‘Tirelli
‘‘, ‘‘François-Yves
Thierry
‘‘ et, le plus connu, ‘‘White
Rabbit’’,
le ‘‘Lapin
Blanc’’,
le surnom que lui donna la Gestapo. Mais nous pouvons aussi retenir
que Yeo-Thomas peut être considéré comme l’une des inspirations
de Ian Fleming, pour son personnage très célèbre : James
Bond, alias 007.
Anglais,
ayant vécu en France, francophile et militaire, toutes ses raisons,
ses principes le poussèrent à rejoindre la lutte pour une Europe
libre, au péril de sa propre vie.
2. Un espion allemand au service de la France
Mais
la Seconde Guerre Mondiale ne débute pas forcément en 1939 et
n’attira pas uniquement des hommes et des femmes épris de justice.
Dès le début des années trente, des renseignements fournis par un
espion allemand indiqueront les futurs conflits que commenceront les
Nazis. Cet espion, c’est Hans-Thilo Schmidt, fonctionnaire
militaire de 43 ans né le 13 mai 1888 à Berlin.
Dans
un marché (selon la théorie d’Adam Smith), une "main
invisible" nous pousse à satisfaire nos intérêts personnels,
et ce faisant on satisfait l’intérêt général de la société en
se spécialisant dans le domaine dans lequel on est le meilleur. Ce
principe peut aussi s’appliquer dans le cadre de Hans-Thilo.
En raison
de ses problèmes financiers, dûs à la crise de 1929, ainsi que de
son mépris pour son frère aîné Rudolf Schmidt (un haut gradé
allemand qui avait la reconnaissance d’Hitler), Hans-Thilo Schmidt
se rend à l’ambassade de France à Berlin pour monnayer ses
services. Recevant comme nom de code «H.E » (« Ashe »,
mot allemand pour « cendres ») du capitaine Gustave
Bertrand (officier au service du renseignement français), il doit,
pour prouver sa bonne foi, fournir un renseignement important. Il se
spécialise alors dans le renseignement militaire et en particulier
sur les secrets d’Enigma. Ses intérêts personnels ont permis,
sans qu’il en ait eu l’intention, d’accélérer la fin de la
guerre : sans son acte individualiste, celle-ci aurait pu
perdurer au moins deux ans supplémentaires. Donc, l’engagement de
Hans-Thilo Schmidt du côté des Alliés n’était pas lié à la
défense des valeurs de la démocratie, mais à la poursuite de
l’intérêt individuel.
A
l’époque, Hans-Thilo était un employé au bureau du chiffre du
ministère de la Reichswehr (la « Chiffrierstelle »).
Utilisant les renseignements qu’il pouvait avoir grâce à son
statut (notion déterminée par plusieurs fonctions ou positions que
peut occuper un individu. Cela détermine le comportement qu’il va
aborder devant les autres), il avait donc accès à la documentation
liée à Enigma et durant plusieurs années, il alimenta les réseaux
français, polonais et bien sûr anglais sur tout ce qui concernait
cette machine cryptée. Si Alan Turing, mathématicien de génie
Anglais, a créé le premier logiciel (à l’origine pour résoudre
l’équation d’Enigma), ce fut en particulier grâce au travail de
Hans-Thilo. Grâce à ce décryptage, on a estimé que la guerre fut
écourtée de minimum deux ans.
Ce
ne sont pas les seuls renseignements que Hans-Thilo Schmidt fait
parvenir aux Français : du réarmement de l’Allemagne en 1932
jusqu’à l’attaque des Ardennes le 10 mars 1940, en passant par
l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne Nazie et l’invasion
de la Pologne le 1er
septembre 1939, l’homme transmet tout cela aux autorités
françaises des jours voire des mois avant. Mais la plupart de ces
renseignements ne furent pas pris au sérieux par le gouvernement
français.
Néanmoins,
les informations qu’il fournissait sur Enigma aidèrent beaucoup
les Britanniques. Sans eux, sans lui, la bataille d’Angleterre,
conflit majeur selon le Général Paul Paillole, aurait pu anéantir
totalement la Royal Air Force et compromettre drastiquement la
libération de la France. Arrêté en février 1943, sa trahison
militaire ne lui sera pas pardonnée, il sera torturé et son frère
démis de ses fonctions. En septembre, il se suicidera grâce à un
poison que sa fille lui aurait fait passer en prison. Si pour les
Allemands il n’avait pas d’honneur et de mérite, pour les
Français il en avait. En effet, dans son livre Notre
espion chez Hitler,
Paul Paillole reconnaîtra son implication et son rôle essentiel
dans la libération française.
Son groupe
d’appartenance a donc changé à cause d’évènements exogènes
(crise de 1929, promotions de son frère...) pour le conformer à un
groupe référant avec qui il partage des valeurs devenues communes.
Il est passé du groupe ‘‘Allemand’’, où les valeurs
correspondaient à être fidèle au parti Nazi, à Hitler et à
l’Allemagne, au groupe ‘‘Français’’ qui soutenait la
démocratie. Ses motivations, gagner de l’argent puis combattre le
nazisme, font finalement de lui un anti-nazi convaincu.
III/ Espions venant du reste du monde : William Donovan et Nancy Wake
S’il
y a eu des espions européens, il y en a eu d’autres qui venaient
d’ailleurs. La Seconde Guerre Mondiale est considérée comme un
conflit international et on retrouve cette situation dans les réseaux
d’espionnage ayant opéré en France, mais aussi dans d’autres
pays en guerre. Et bien sûr, on trouve des espions de tout lieu de
naissance...
1. Donovan, fondateur de l’OSS
Né
le 1er janvier 1883 à Buffalo, dans l’Etat de New-York, aux
Etats-Unis, William Joseph Donovan était un vétéran de la Première
Guerre Mondiale : il dirigea le 165ème
régiment de la 42ème
division, aussi connue comme la « Rainbow Division », et
assista à plusieurs combats dont ceux près de
Landres-et-Saint-Georges les 14 et 15 octobre 1918. Promu au grade de
général, il obtiendra la Distinguished Service Cross et trois
Purple Hearts et deviendra, à son retour, un officier de liaison
avec les forces armées de la Russie Blanche puis un illustre avocat.
Proche
du président Roosevelt et du Premier Ministre anglais Winston
Churchill (qui était l’un de ses clients dans son cabinet Donovan,
Leisure,
Newton
& Irvine),
il
se rendra de 1937 à 1940 plusieurs fois en Europe sur ordre
présidentiel pour informer la Maison Blanche de la situation
européenne. Donovan sera même reçu par Mussolini, pensant que cet
homme pourrait freiner les ambitions d’Hitler.
A l’été
1940, Joseph P. Kennedy, ambassadeur américain en Grande-Bretagne,
rédige un rapport alarmiste sur la situation de leurs alliés
britanniques : il affirme que les Anglais sont sur le point de
signer l’armistice et de s’effondrer sous les attaques de la
Luftwaffe). Le président Roosevelt, sur les conseils de Frank Knox,
secrétaire de la Marine décide alors d’envoyer le 14 Juillet 1940
William Donovan -résidant en Europe- pour vérifier ses
informations.
Il
fut accompagné d’Edgar Ansel Mowrer (un journaliste américain
primé du Pulitzer Prize). Entre 1940 et 1941, Donovan voyagea en
Grande-Bretagne et dans les parties non-occupées par les nazis et
servit d’émissaire et de collecteur d’informations pour le
président des Etats-Unis et Knox. En Angleterre, il rencontra le
Premier Ministre, Churchill, le roi George VI, ainsi que les
représentants des services secrets.
Dès son
retour en Amérique, au début d’août 1941, Donovan décrit, dans
son rapport à Roosevelt, la détermination des Anglais en leur
victoire certaine si les Etats-Unis leur apportent leur aide et des
provisions. De plus, Donovan écrit une série d’articles exposant
la grande menace du Nazisme pour les Etats-Unis.
Son
rapport au président Roosevelt ainsi que sa conviction qu’ils
gagneraient si les Etats-Unis entraient en guerre, oblige le
président à lui donner une nouvelle mission : évaluer la
situation militaro-politique de la Méditerranée. La presse le
surnomme alors « l’homme mystère du président ».
C’est
en 1941, après l’attaque de Pearl Harbor par les Japonais et
l’entrée en guerre des Américains, que les deux services secrets
(l’OSS et le SOE) se rapprochent. Ils échangent des informations,
des agents, des techniques de renseignements, d’espionnage …
A
la fin de la guerre, suite à la dissolution de son service, il sera
promu général, distingué de la « Distinguished Service Medal ».
Son implication dans la guerre lui permettra de devenir « l’assistant
spécial » du procureur général Telford Taylor lors du procès
de Nuremberg, avant de reprendre successivement sa place d’avocat,
d’être nommé, en 1949, président du comité américain pour une
Europe unie et en 1953, ambassadeur de son pays en Thaïlande. Il
meurt finalement le 8 février 1959, à 76 ans, à Washington.
Aujourd’hui, il est connu comme le Père des services
d’informations américaines.
L’amour
qu’il portait envers son pays et ses valeurs l’ont poussé à
fonder l’ancêtre de la CIA, l’OSS, qui joua un rôle important
lors de la Seconde Guerre Mondiale (ses espions apporteront notamment
80% des informations opérationnelles et essentielles au succès des
troupes alliées).
Il
montre tout d’abord que l’espionnage, quoique immoral par ses
méthodes (la torture, le vol de renseignements, le sabotage, le
mensonge, la dissimulation de la vérité) est indispensable à la
préservation de l’indépendance des Etats-Unis, que les moyens mis
en place pour obtenir les informations nécessaires à la protection
du système ne reposent pas sur les principes de la République en
termes de moralité et de légalité. Et enfin qu’il peut y avoir
un conflit de valeurs pour les individus effectuant ces tâches.
Cependant, il faut faire face à un ennemi qui utilise la peur donc
tout espion utilise des méthodes identiques selon l’adage « on
combat le feu par le feu ».
2. Nancy Wake, une espionne australienne
Nancy
Wake, née le 30 août 1912 à Wellington en Nouvelle Zélande est
une espionne d’origine Australienne. La jeune fille fugue à l’âge
de 16 ans et devient infirmière. Un héritage imprévu d’une tante
lui permet quelques années plus tard d’accomplir son rêve
d’évasion. Elle part alors à New York, puis à Londres où elle
apprend le journalisme. Elle arrive finalement à Paris au début des
années 30 et devient la correspondante européenne du groupe de
presse américain Hearst.
En
1935, Nancy décroche une interview avec le chancelier Hitler
lui-même. L’homme est charmant et tout se passe bien, jusqu’au
soir où une scène qui la marquera à vie fera d’elle une
opposante au III Reich : une petite troupe de nazis a arraché une
famille de commerçants berlinois à leur magasin et les a attachés,
nus, à de grandes roues de charrettes. Impuissante, la journaliste
va assister à leur supplice, ils seront fouettés et roulés le long
des rues par des hommes hilares au milieu de torches et d’injures.
Nancy
dira plus tard : « je me souviens être restée plantée là et de
m’être dit : « je ne sais pas ce que je ferai pour ça, mais si
un jour j’en ai les moyens, je le ferai » ». Ses valeurs morales
(liberté et égalité) entraient en totale opposition avec les
valeurs Nazis qui pronaient la supériorité de la race et
l’extermination de ce qu’ils considéraient comme des êtres
inférieurs.
En
1936, Nancy est de retour en France. Elle y rencontre un milliardaire
qu’elle épouse en 1939, Henri Fiocca. Avec l’argent de son mari,
le couple va alors créer suite à la capitulation française en
1940, un des premiers réseaux de résistance. A eux deux, ils vont
s’engager dans la désobéissance civile, vont s’opposer, ici
indirectement, aux lois et au pouvoir politique français.
Depuis
Marseille, le couple se lance dans ce qui sera sa spécialité : le
recueil des pilotes anglais abattus en France au cours de leurs
missions. Il faut les soigner, leur procurer de faux papiers, de
l’argent, un abri, de la nourriture, des plans, des contacts et
surtout les exfiltrer pour qu’ils puissent reprendre le combat. En
tout, plus de mille personnes profiteront du réseau du couple. En
première ligne, Nancy pilote une filière d’extraction vers
l’Espagne, elle deviendra un messager.
Mais
en 1943, les Allemands commencent à être très énervés par Nancy.
Ils ne savent à peu près rien d’elle, si ce n’est qu’elle les
ridiculise. La Gestapo lui attribue alors un nom de code : ‘‘Die
Weiße Maus’’, la Souris blanche. Nancy sera alors tout en haut
de la liste des personnes les plus recherchées, avec une prime de 5
millions de francs pour celui qui la livrera.
Ce
qui devait arriver survint : trahie, Nancy est arrêtée en cherchant
à fuir grâce à sa propre filière. Pendant quatre jours entiers
elle va être blessée, torturée mais lors de ces quatre jours la
Gestapo n’obtiendra strictement rien d’elle, pas un mot, pas même
son nom. Ils vont finalement décider de la relâcher. Son mari,
moins chanceux, est arrêté à Marseille, où il sera torturé et
exécuté, refusant avec obstination de donner la moindre indication
au sujet de Nancy. Cette dernière n’apprendra sa mort qu’à la
fin de la guerre.
Nancy
va finir par venir à Londres où le SOE (Special Operations
Executive) l’accueillera à bras ouverts. Elle subira un
entraînement d’agent secret et s’entraînera à toutes les
techniques d’espionnage ; tir, espionnage, explosifs, sabotage...
En
avril 1944, elle est parachutée au beau milieu de l’Auvergne. Nom
de guerre : « Hélène ». Nom de code en opération : « Witch »,
la sorcière. Sa mission sera d’établir des stocks d’armes et de
munitions, de construire avec les maquis locaux un système de
communication par radio et de prendre la tête d’un réseau de
résistance chargé d’affaiblir les lignes allemandes en
préparation du Débarquement en Normandie. Avant et après le jour
J, Nancy mènera directement toute une série d’opérations de
guérillas et de sabotage. Elle fait exploser des ponts, des voies
ferrées...
La
paix enfin revenue, l’ancienne résistante regagne l’Australie.
Elle se présente sans succès aux législatives de 1949 et 1951 puis
repart en Angleterre
où
elle épouse en secondes noces John Forward, pilote de la Royal air
force. Le couple revient en Australie dans les années 60.
A
la mort de son second mari, elle retourna à Londres. Veuve de
nouveau, elle y décèdera en 2011, à l’âge de 98 ans.
Nancy
sera la femme la plus décorée de la guerre avec une Légion
d’Honneur au grade d’officier, la médaille de la Résistance, la
médaille du roi Georges et la Croix de guerre. En 2013 ses cendres,
comme elle le souhaitait, vont être dispersées au-dessus de
l’Auvergne, près de son ancien maquis.
Les
espions étrangers qui ont aidé à libérer la France durant la
Seconde Guerre Mondiale l’ont fait soit par devoirs (militaire,
civique, par exemple), soit par désir personnel : sentiment de
révolte, vision ou même vécu de la cruauté du Nazisme qui les ont
poussés à agir ainsi. Dans le cas de Nancy, ses principes
s’opposaient à ceux des Nazis et ce sont ses valeurs
démocratiques
qui
la poussèrent à se dresser face à cette tyrannie, malgré ses
doutes, ses peurs et le risque de mourir.
Conclusion
L’espionnage étranger durant
la Seconde Guerre Mondiale se caractérise donc par des réseaux liés
entre eux par une même histoire. Leurs agents, courageux hommes et
femmes, avaient en commun des idées et des intérêts dans le but
final de préserver la démocratie. Ils partageaient des valeurs tels
que le patriotisme, la liberté, l’égalité, l’envie d’être
utile ou parfois tout simplement le besoin d’argent. Pour protéger
ce qu’ils estimaient être essentiels, ils endossèrent différents
rôles et statuts, mirent en œuvre une solidarité forte, et ce
malgré les trahisons.
Leur
patriotisme ou leurs intérêts personnels les poussaient à
s’engager pour libérer la France des Nazis. Beaucoup d’entre eux
risquaient leurs vies chaque minute de chaque jour uniquement par
leur présence sur les territoires ennemis ou à cause des
informations qu’ils transportaient. Beaucoup d’entre eux n’en
ressortirent pas. Nancy Wake, Yeo-Thomas, Hans-Thilo, Jean Moulin et
tant d’autres, étrangers ou non, furent capturés et torturés
(souvent à mort) par les membres de l’Axe. Malgré cela, malgré
tout, la défense de la liberté était un but plus important que
leur propre vie.
Qu’est
devenue, avec le temps, cette coopération entre les services de
renseignement ? Rapidement, la guerre froide rebâtit les cartes
des liens entre les anciens alliés de la Seconde Guerre Mondiale.
Puis, progressivement, les concurrences économique et stratégique
entre États conduisirent à une extrême compétition pour contrôler
et acquérir l’information. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les
principaux réseaux d’espionnage occidentaux sont en conflit entre
eux. La CIA, par exemple, espionne le gouvernement français alors
que la DGSE, lointaine héritière du BCRA (Deuxième Bureau) s’y
oppose en cherchant à protéger notre territoire. Néanmoins, dans
des cas d’extrême urgence, face à un ennemi commun tel que le
terrorisme, les agences doivent coopérer.
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