Pourquoi des espions étrangers se sont-ils engagés pour libérer la France ?

Ce travail a été réalisé par Maryne Saunier, My-My Trieu et Lauriane Pouget.

Le mot « espion » vient du mot « espier » datant de l’époque médiévale, qui signifie « épier ». La mission de l’espion consiste à ne pas se faire repérer tout en récoltant des renseignements sur l’ennemi, en diffusant des faux, ou désorganisant leur adversaire. L’espionnage existe depuis l’Antiquité, notamment chez les Grecs et les Romains.
L’espionnage a aussi été utilisé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cette guerre a mobilisé le monde entier entre le 1er septembre 1939 et le 2 septembre 1945 (elle est considérée comme une guerre totale, qui a donc mobilisé les populations civiles, les esprits et l’économie). Adolf Hitler, après avoir accédé au pouvoir en 1933, mena une Blitzkrieg (une ‘‘Guerre-Éclair’’) avec ses troupes nazies afin de conquérir des territoires d’Europe, dont le Nord de la France, pour étendre son Empire, le IIIe Reich.
En France, d’un côté, le gouvernement français collabora avec le régime Nazi, et de l’autre le général De Gaulle (qui s’était réfugié à Londres) lança un appel le 18 juin 1940 invitant les Français à résister. Suite à cela, répondant à l’injonction du général, une résistance fut mise en place, et de nombreux réseaux d’espionnage furent développés, que ce soient chez les Anglais, les Allemands et tous les autres pays participants.
Le Royaume-Uni, avec Winston Churchill comme Premier Ministre, prit part à la guerre, aidé par les États-Unis et tous les autres pays alliés, pour libérer les pays occupés dont la France. Nous nous demanderons donc pourquoi des espions étrangers se sont engagés pour libérer notre pays. Pour répondre à cela, nous allons étudier dans un premier temps deux réseaux d’espionnage étrangers, puis dans un second temps, nous illustrerons nos propos en présentant deux espions d’origine européenne et deux autres espions venant du reste du monde.

I/ Les réseaux d’espionnage étrangers

1. Qu’est-ce qu’un réseau d’espionnage ?

Tout d’abord, les réseaux d’espionnage, contrairement aux réseaux de résistance qui devaient faire des pillages pour trouver des moyens financiers, pouvaient se reposer sur l’aide des gouvernements pour financer leurs activités dangereuses.
Les réseaux d’espionnage comme les réseaux de résistance sont des groupes sociaux (c’est-à-dire des ensembles d’individus possédant des caractéristiques communes, un sentiment d’appartenance et des intérêts communs). Ils ont été mis en place par deux gouvernements alliés de longues dates. Ils participèrent de manière directe à la libération de la France, dans le but principal de combattre la tyrannie hitlérienne et de garantir les valeurs fondamentales. Ces valeurs sont la liberté d’une part, c’est-à-dire la capacité de conserver la possibilité de pouvoir agir selon sa propre volonté, sans subir aucune contrainte politique et/ou sociale, et d’autre part de défendre le principe d’égalité, qui permet d’être traité de la même manière dans ses droits et ses devoirs.
La longue relation liant les États-Unis, le Royaume-Uni et la France les poussa à unir leurs forces. Ainsi, même si on peut observer dans ces trois sociétés des normes1, des habitudes, des cultures différentes, elles se sont unies autour de la défense de valeurs communes : celles de la démocratie. Cette politique vise à fonder un système basé sur l’égalité des droits et des chances et à garantir la liberté.

2. Un réseau d’espionnage américain : l’OSS

Contrairement au Deuxième Bureau des français qui possédait une longue expérience, l’Office of Strategic Services, (le « Bureau des Services Stratégiques » soit l’OSS) était une agence de renseignement, née aux États-Unis le 13 Juin 1942, pour aider les anglais pendant cette guerre et fortifier le réseau américain. Malgré sa jeunesse et son inexpérience, ce réseau rapidement opérationnel concurrença efficacement ses adversaires et porta secours au réseau anglais.
Ce fut William J. Donovan, militaire américain, qui apporta l’idée dans son pays, après un voyage à Londres en été 1940, où il rencontra le Premier Ministre Winston Churchill qui lui révéla les secrets des renseignements britanniques.
Contre un ennemi commun, la solution la plus évidente est de faire barrage face à lui, et pour cela réunir un maximum d’alliés ; on appelle cela une solidarité collective. Les mouvements de résistance sont donc de la solidarité organisée. William Donovan y découvrit alors l’art des opérations secrètes, de l’espionnage, du sabotage, ainsi que des actions clandestines.
Après avoir convaincu le président Roosevelt de l’importance d’un service secret pour les États-Unis, ce dernier accepta de créer le 13 juillet 1942 l’OSS. Donovan fut nommé au poste de coordinateur de l’information et directeur de l’OSS le 11 Juillet 1942.
L’OSS avait pour mission de collecter des informations et de conduire des actions « clandestines » et « non ordonnées », telles que le sabotage, la désinformation, l’enlèvement et l’assassinat. Elle intervient dans plusieurs régions du monde, notamment en Afrique du Nord où l’Afrika Korps d’Hitler, sous le commandement du Maréchal Rommel affrontait les Alliés.
En France, cette organisation effectua de nombreuses missions allant de la collecte d’informations classique à l’implication de nombreux agents dans des opérations de grande envergure comme Jedburgh (opération qui nécessita la participation du BCRA français, de la SOE, de l’OSS et d’autres réseaux d’espionnage comme ceux des Pays-Bas).
La contribution de l’OSS vis-à-vis des Alliés se divisait en deux axes. D’abord, dans l’aide qu’elle apporta aux Alliés. Leurs intérêts étaient souvent dénués d’arrière-pensée politique et résultaient plus d’un besoin d’être ‘‘un héros’’ (figure très présente aux États-Unis, le héros est un soldat patriotique qui accomplit des actions dans le but de sauver et de protéger son pays). En sociaux, le héros est une personne qui transgresse positivement les normes de sa société et reçoit une sanction positive, soit par exemple des regards plein d’admiration.
De plus, le patriotisme, un sentiment partagé d’appartenance pour son pays, a éveillé chez ses habitants un sentiment d’unité, un attachement profond et un dévouement à la patrie. Il s’accompagne souvent de la volonté de protéger militairement son pays, en cas d’attaque extérieure. En ce temps, les espions de l’OSS agissaient, pour préserver les valeurs de la démocratie, non pas dans leur pays, mais en Europe, notamment en France face à la menace nazie.
Démantelé à la fin des années 1945, l’OSS fut remplacée par la CIA. Ce réseau d’espionnage était composé de divers individus, hommes et femmes, faisant partie de l’élite de la promotion 41 (les meilleurs diplômés de l’université de la côté Est), de familles riches du pays, d’autres qui étaient faussaires, ou encore artistes d’un cirque. Au total, 13 000 personnes y appartenaient en 1944. Leurs relations, leurs richesses et leurs talents étaient convoités par les dirigeants de l’OSS.
Ils s’inspirèrent énormément des services de renseignement britanniques. Il y avait des linguistes, des gérants de budget, des économistes prévisionnistes et d’analystes de nouvelles de l’étranger, et enfin des espions. Ces derniers étaient des novices formés selon les méthodes anglaises d’espionnage. De nombreuses armes furent mises au point comme le « Tante Marie », une sorte de pâte de gâteau qui est capable d’exploser comme une dynamite ou le sous-marin « une-place » utile lors d’opération de sabotage, appelé "Belle au bois dormant".

3. Un réseau d’espionnage britannique : le SOE

Toutefois, avant même la création de l’OSS, qui deviendra plus tard la très célèbre CIA, les Britanniques créèrent leur propre service d’espionnage. C’est en effet entre le 16 et le 22 juillet 1940 que Winston Churchill, Premier Ministre britannique de l’époque, signa l’acte de création du Special Operations Executive (dissout le 30 juin 1946).
Issu du Military Intelligence Research (le MIR, le service de renseignements militaires détaché du ministère de la Guerre), et la section D détachée du MI 6 (service de renseignement), ce service d’action surnommé le ‘‘SOE’’ avait pour mission de ‘‘mettre le feu à l’Europe’’ (littéralement « And now, set Europe ablaze ! »).
Ses agents prenaient part à des actes de sabotages, d’intoxications et de guérillas dans les zones occupées et formaient des ressortissants étrangers à l’espionnage. Le SOE ne répond de ses actes qu’à Churchill et le ministère de la Guerre économique (Ministry of Economic Warfare). Le chef principal du SOE était Sir Hugh Dalton, un économiste, qui a été sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères (de 1929 à 1931), puis ministre du Commerce (de 1940 à 1962).
Les activités du SOE en France, cette «créature singulière» (selon l’historien M. Foot, spécialiste du SOE et auteur du SOE in France : An Account of the Work of the British Special Operations Executive in France, 1940-1944 (Government Official History, une version « officielle » de l’histoire du SOE commandée par le gouvernement), sont supervisées par huit sections basées à Londres ou à Alger. Deux sections retiennent l’attention : la section F, sous le contrôle des Anglais, et la section RF, sous le contrôle de De Gaulle.
Les Allemands vont créer des organisations pour les contrer, comme l’Abwehr, le service de renseignement de la Wehrmacht dirigé par l’amiral Wilhelm Canaris. En 1940, cette organisation était plus présente que la Gestapo (police politique au service d’Hitler) , mais celle-ci va finalement l’absorber en 1944. Il y a une opposition entre les valeurs et les objectifs du SOE et la Gestapo car les Allemands visent à tuer pour leur idéologie tandis que les Alliés ont pour but de protéger leurs pays et leurs principes (liberté, égalité).
Les agents travaillant pour le SOE doivent avoir une connaissance du pays et de la langue, un goût pour l’action, des nerfs solides et en même temps l’esprit d’équipe, et enfin un sens de la politique. Les ressortissants des pays occupés et/ou étrangers sont souvent devenus des espions. La France apparaît comme LE pays à libérer de l’occupation allemande : politiquement c’est une alliée de longue date du Royaume-Uni et des Etats-Unis, elle a déjà un bras armé grâce aux mouvements de résistance, et géographiquement elle est idéalement placée pour lancer des frappes aériennes, des chars , des actions de sabotage…

II/ Espions européens : Forest Frederick Edward Yeo-Thomas et Hans-Thilo Schmidt

De nombreux espions européens participèrent à cette guerre, qu’ils soient Nazis ou Alliés. Leur normes et valeurs3 différaient au point que certaines d’entre elles pouvaient entrer en conflits.
Nous avons fait le choix de vous présenter deux espions européens de nationalité différente et travaillant pour des réseaux d’espionnage différents : un espion Anglais travaillant pour le SOE et un espion Allemand, pour le service de renseignement français.

1. Un espion britannique engagé pour libérer la France.

Né le 17 juin 1902 à Londres, Forest Frederick Edward Yeo-Thomas est un britannique qui, ayant fait ses études en France, parle couramment le français et l’anglais.
Il a donc intégré lors de sa phase de socialisation primaire les valeurs de la République Française transmises notamment par l’école. La socialisation primaire se passe lors de la petite enfance et l’adolescence, soit lorsque l’enfant est malléable (telle une éponge ou une page blanche sur laquelle la culture vient s’écrire). Elle est délibérée (comme à l’école ou par répétition des informations) ou inconsciente (l’enfant apprend par imprégnation, par observation).
Marié et père de deux filles, il fut successivement un ancien apprenti mécanicien chez Rolls Royce, un comptable dans une agence de voyage, puis, dans les dernières années de l’avant-guerre, à Paris, un directeur de la maison de haute-couture Molyneux.
Durant la Drôle de Guerre (3 septembre 1939 au 10 mai 1940), il fut interprète dans la RAF (la Royal Air Force, c’est-à-dire l’aviation britannique). Enfin, à l’été 1940, il devient officier de renseignement au 308e groupe de chasse polonais basé à Badington, et rejoint (deux ans après, le 3 février 1942) la section RF du SOE, recruté par Eric Piquet-Wicks.
Accompagné par le colonel Passy ("Arquebuse"), il est parachuté dans la nuit du 26 au 27 février 1943 près de Lyons-la-Forêt. De là, ils doivent tous les deux rejoindre Paris pour retrouver Pierre Brossolette ("Brumaire"), autre espion les ayant précédé en France à la fin du mois de janvier. Quelle est sa mission ? Enquêter sur la Résistance intérieure française, ses capacités d’action paramilitaire, ses éventuels projets politiques, sa position vis-à-vis du général de Gaulle et l’état d’esprit des Français par rapport à la Résistance, de l’État français et de la Collaboration. Cette mission s’appela ‘‘SEAHORSE’’.
Après avoir assisté à la création des Comités de coordination civile et militaire de zone Nord, il retourne en Angleterre par Westland Lysander dans la nuit du 15 au 16 avril 1943, accompagné de Brossolette et Passy. Il fut un agent essentiel pour soutenir l’appui que fournissait Winston Churchill au général De Gaulle et ce, contre l’avis des Américains.
Sa seconde mission en France se nomma ‘‘MARIE-CLAIRE’’. Son but était de recenser les moyens de l’action armée en France et les besoins en armes des maquis pour ensuite travailler à renforcer la logistique de l’organisation paramilitaire de la Résistance. Parachuté près d’Angoulême dans la nuit du 18 au 19 septembre 1943 avec Pierre Brossolette, il enquêta et obtint des renseignements permettant de contrer l’arrestation de nombreux patriotes. Par six fois, Forest Yeo-Thomas manqua d’être arrêté.
Sans s’arrêter à ce succès, les deux hommes continuèrent leur mission. Ils réunissent, le 6 octobre à Paris, les responsables des mouvements et ceux du Bureau des opérations aériennes en zone nord pour une séance de conciliation. Les 26 et 27 octobre, c’est au tour des chefs régionaux de zone sud du Service national Maquis d’être réunis, puis du Comité militaire de zone nord. Le 2 novembre, il part en tournée avec Michel Brault, chef national du service des maquis, pour se faire une idée des formations existantes et de leurs besoins. Enfin, dans la nuit du 15 au 16 novembre, il retourne, seul, en Angleterre avec, sur lui, les archives du Renseignement britannique sauvé d’une maison surveillée par la Gestapo. Là-bas, Yeo-Thomas devient adjoint de LH Dismore (alors le nouveau commandant de la section RF) où il est chargé de la liaison avec les opérations de terrain. Après avoir plaidé la cause de la Résistance à Winston Churchill, il apprend l’arrestation de Pierre Brossolette et de Émile Bollaert (haut-fonctionnaire et homme politique français). Il organisa leur évasion et se fit parachuté en France, avec l’aide de Dismore, sous le nom de guerre « Shelley » dans la nuit du 24 au 25 février 1944. Malheureusement, et en dépit de ses précautions, il sera arrêté le 21 mars par la Gestapo.
Ceux-ci le reconnaîtront et, appliquant les consignes, Yeo-Thomas déclinera sa véritable identité et son grade, censé lui permettre, en théorie, de bénéficier des droits de la guerre. Il se fera néanmoins torturer de diverses manières. Cette mission de sauvetage fut un échec complet : Pierre Brossolette se suicide le 22 mars après avoir été identifié, « l’interrogatoire » de Yeo-Thomas se poursuit pendant deux mois et il contracta la gangrène qui manqua de lui faire perdre un bras.
Après avoir échoué à deux tentatives d’évasion, il sera envoyé à la prison de Fresnes en isolement puis, le 17 juillet 1944, sans avoir fourni le moindre renseignement, il fut transféré au camp de Royallieu à Compiègne. Après deux nouvelles tentatives d’évasions (elles aussi infructueuses), il est déporté avec trente-six autres prisonniers au camp de concentration de Buchenwald le 8 août pour y arriver le 15. Deux semaines plus tard, le 10 septembre, seize d’entre eux sont exécutés et peu de temps après, onze autres détenus sont fusillés le 8 octobre.
Yeo-Thomas, quant à lui, met au point, en octobre, une stratégie permettant de fuir le camp. Cette dernière, basée sur la substitution d’identité, permettra alors à trois espions de s’échapper : Harry Peulevé, Stéphane Hessel et lui-même prendront, aidés par des responsables du camp convaincus par Yeo-Thomas, l’identité de trois autres prisonniers morts du typhus. Ainsi, notre espion devient Maurice Chouquet, décédé le 13 octobre. Stéphane Hessel, résistant français d’origine allemande, diplomate et militant politique de gauche, dira (pour un livre réalisé à partir des archives britanniques de 1940 à 1981) : « Le médecin avait dit à Yeo-Thomas deux personnes, il en a obtenu trois, il voulait qu’on en sauve le plus possible, quitte à lui-même laisser sa place. » et « C’était un véritable héros. Je crois qu’il se savait porteur d’une importante mission ».
Suite à cela, Yeo-Thomas est envoyé au kommando Wille à Gleina (en Allemagne) le 8 novembre 1944. Puis, en janvier 1945, il est transféré au camp de Rehmsdorf en Saxe-Anhalt. Néanmoins, après une tentative d’évasion ratée, il est intercepté par une patrouille allemande à qui il déclama sa nationalité française (il fut ensuite transféré dans un camp de prisonniers de guerre français près de Marienburg).
Le 16 avril 1945, il retenta le coup avec un groupe d’une vingtaine de prisonniers, en plein jour. Dix sont tués, les autres se dispersent en petits groupes. Après trois jours sans nourriture, Yeo-Thomas se sépara de ses compagnons pour finalement être repris une semaine après, à environ 700 mètres des lignes américaines.
Enfin, quelques jours après, il s’échappa de nouveau avec un petit groupe de dix prisonniers français, qu’il conduit jusqu’aux lignes américaines. Et le 8 mai 1945, jour même du « VE-day » (« Victory in Europe Day »), il arriva à Paris où il dîna avec le major Thackwaite et Josée Dupuis, au club des officiers britanniques du faubourg Saint-Honoré.
Forest Frederick Edward Yeo-Thomas, espion de la section RF, fut aussi un témoin clé dans le procès de Nuremberg qui se tient en 1946 pour identifier les responsables du camp de Buchenwald. Il quitta l’armée avec le grade de Wing Commander (équivalent au grade de lieutenant-colonel en France) pour reprendre un travail dans une maison de haute couture parisienne en 1946 et en 1950, il devint le délégué en France de la Federation of British Industries. Sa vie se termina le 26 février 1964, à l’âge de 62 ans, chez lui à Paris, des suites d’une hémorragie. Il est aujourd’hui enterré au Brookwood Cemetery, dans le Surrey (près de Londres).
Dans le cadre de ses missions, il porta plusieurs noms de codes : ‘‘Shelley", "Tommy", ‘‘Kenneth Dodkin", ‘‘Tirelli ‘‘, ‘‘François-Yves Thierry ‘‘ et, le plus connu, ‘‘White Rabbit’’, le ‘‘Lapin Blanc’’, le surnom que lui donna la Gestapo. Mais nous pouvons aussi retenir que Yeo-Thomas peut être considéré comme l’une des inspirations de Ian Fleming, pour son personnage très célèbre : James Bond, alias 007.
Anglais, ayant vécu en France, francophile et militaire, toutes ses raisons, ses principes le poussèrent à rejoindre la lutte pour une Europe libre, au péril de sa propre vie.

2. Un espion allemand au service de la France

Mais la Seconde Guerre Mondiale ne débute pas forcément en 1939 et n’attira pas uniquement des hommes et des femmes épris de justice. Dès le début des années trente, des renseignements fournis par un espion allemand indiqueront les futurs conflits que commenceront les Nazis. Cet espion, c’est Hans-Thilo Schmidt, fonctionnaire militaire de 43 ans né le 13 mai 1888 à Berlin.
Dans un marché (selon la théorie d’Adam Smith), une "main invisible" nous pousse à satisfaire nos intérêts personnels, et ce faisant on satisfait l’intérêt général de la société en se spécialisant dans le domaine dans lequel on est le meilleur. Ce principe peut aussi s’appliquer dans le cadre de Hans-Thilo.
En raison de ses problèmes financiers, dûs à la crise de 1929, ainsi que de son mépris pour son frère aîné Rudolf Schmidt (un haut gradé allemand qui avait la reconnaissance d’Hitler), Hans-Thilo Schmidt se rend à l’ambassade de France à Berlin pour monnayer ses services. Recevant comme nom de code «H.E » (« Ashe », mot allemand pour « cendres ») du capitaine Gustave Bertrand (officier au service du renseignement français), il doit, pour prouver sa bonne foi, fournir un renseignement important. Il se spécialise alors dans le renseignement militaire et en particulier sur les secrets d’Enigma. Ses intérêts personnels ont permis, sans qu’il en ait eu l’intention, d’accélérer la fin de la guerre : sans son acte individualiste, celle-ci aurait pu perdurer au moins deux ans supplémentaires. Donc, l’engagement de Hans-Thilo Schmidt du côté des Alliés n’était pas lié à la défense des valeurs de la démocratie, mais à la poursuite de l’intérêt individuel.
A l’époque, Hans-Thilo était un employé au bureau du chiffre du ministère de la Reichswehr (la « Chiffrierstelle »). Utilisant les renseignements qu’il pouvait avoir grâce à son statut (notion déterminée par plusieurs fonctions ou positions que peut occuper un individu. Cela détermine le comportement qu’il va aborder devant les autres), il avait donc accès à la documentation liée à Enigma et durant plusieurs années, il alimenta les réseaux français, polonais et bien sûr anglais sur tout ce qui concernait cette machine cryptée. Si Alan Turing, mathématicien de génie Anglais, a créé le premier logiciel (à l’origine pour résoudre l’équation d’Enigma), ce fut en particulier grâce au travail de Hans-Thilo. Grâce à ce décryptage, on a estimé que la guerre fut écourtée de minimum deux ans.
Ce ne sont pas les seuls renseignements que Hans-Thilo Schmidt fait parvenir aux Français : du réarmement de l’Allemagne en 1932 jusqu’à l’attaque des Ardennes le 10 mars 1940, en passant par l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne Nazie et l’invasion de la Pologne le 1er septembre 1939, l’homme transmet tout cela aux autorités françaises des jours voire des mois avant. Mais la plupart de ces renseignements ne furent pas pris au sérieux par le gouvernement français.
Néanmoins, les informations qu’il fournissait sur Enigma aidèrent beaucoup les Britanniques. Sans eux, sans lui, la bataille d’Angleterre, conflit majeur selon le Général Paul Paillole, aurait pu anéantir totalement la Royal Air Force et compromettre drastiquement la libération de la France. Arrêté en février 1943, sa trahison militaire ne lui sera pas pardonnée, il sera torturé et son frère démis de ses fonctions. En septembre, il se suicidera grâce à un poison que sa fille lui aurait fait passer en prison. Si pour les Allemands il n’avait pas d’honneur et de mérite, pour les Français il en avait. En effet, dans son livre Notre espion chez Hitler, Paul Paillole reconnaîtra son implication et son rôle essentiel dans la libération française.
Son groupe d’appartenance a donc changé à cause d’évènements exogènes (crise de 1929, promotions de son frère...) pour le conformer à un groupe référant avec qui il partage des valeurs devenues communes. Il est passé du groupe ‘‘Allemand’’, où les valeurs correspondaient à être fidèle au parti Nazi, à Hitler et à l’Allemagne, au groupe ‘‘Français’’ qui soutenait la démocratie. Ses motivations, gagner de l’argent puis combattre le nazisme, font finalement de lui un anti-nazi convaincu.

III/ Espions venant du reste du monde : William Donovan et Nancy Wake

S’il y a eu des espions européens, il y en a eu d’autres qui venaient d’ailleurs. La Seconde Guerre Mondiale est considérée comme un conflit international et on retrouve cette situation dans les réseaux d’espionnage ayant opéré en France, mais aussi dans d’autres pays en guerre. Et bien sûr, on trouve des espions de tout lieu de naissance...

1. Donovan, fondateur de l’OSS

Né le 1er janvier 1883 à Buffalo, dans l’Etat de New-York, aux Etats-Unis, William Joseph Donovan était un vétéran de la Première Guerre Mondiale : il dirigea le 165ème régiment de la 42ème division, aussi connue comme la « Rainbow Division », et assista à plusieurs combats dont ceux près de Landres-et-Saint-Georges les 14 et 15 octobre 1918. Promu au grade de général, il obtiendra la Distinguished Service Cross et trois Purple Hearts et deviendra, à son retour, un officier de liaison avec les forces armées de la Russie Blanche puis un illustre avocat.
Proche du président Roosevelt et du Premier Ministre anglais Winston Churchill (qui était l’un de ses clients dans son cabinet Donovan, Leisure, Newton & Irvine), il se rendra de 1937 à 1940 plusieurs fois en Europe sur ordre présidentiel pour informer la Maison Blanche de la situation européenne. Donovan sera même reçu par Mussolini, pensant que cet homme pourrait freiner les ambitions d’Hitler.
A l’été 1940, Joseph P. Kennedy, ambassadeur américain en Grande-Bretagne, rédige un rapport alarmiste sur la situation de leurs alliés britanniques : il affirme que les Anglais sont sur le point de signer l’armistice et de s’effondrer sous les attaques de la Luftwaffe). Le président Roosevelt, sur les conseils de Frank Knox, secrétaire de la Marine décide alors d’envoyer le 14 Juillet 1940 William Donovan -résidant en Europe- pour vérifier ses informations.

Il fut accompagné d’Edgar Ansel Mowrer (un journaliste américain primé du Pulitzer Prize). Entre 1940 et 1941, Donovan voyagea en Grande-Bretagne et dans les parties non-occupées par les nazis et servit d’émissaire et de collecteur d’informations pour le président des Etats-Unis et Knox. En Angleterre, il rencontra le Premier Ministre, Churchill, le roi George VI, ainsi que les représentants des services secrets.
Dès son retour en Amérique, au début d’août 1941, Donovan décrit, dans son rapport à Roosevelt, la détermination des Anglais en leur victoire certaine si les Etats-Unis leur apportent leur aide et des provisions. De plus, Donovan écrit une série d’articles exposant la grande menace du Nazisme pour les Etats-Unis.
Son rapport au président Roosevelt ainsi que sa conviction qu’ils gagneraient si les Etats-Unis entraient en guerre, oblige le président à lui donner une nouvelle mission : évaluer la situation militaro-politique de la Méditerranée. La presse le surnomme alors « l’homme mystère du président ».
C’est en 1941, après l’attaque de Pearl Harbor par les Japonais et l’entrée en guerre des Américains, que les deux services secrets (l’OSS et le SOE) se rapprochent. Ils échangent des informations, des agents, des techniques de renseignements, d’espionnage …
A la fin de la guerre, suite à la dissolution de son service, il sera promu général, distingué de la « Distinguished Service Medal ». Son implication dans la guerre lui permettra de devenir « l’assistant spécial » du procureur général Telford Taylor lors du procès de Nuremberg, avant de reprendre successivement sa place d’avocat, d’être nommé, en 1949, président du comité américain pour une Europe unie et en 1953, ambassadeur de son pays en Thaïlande. Il meurt finalement le 8 février 1959, à 76 ans, à Washington. Aujourd’hui, il est connu comme le Père des services d’informations américaines.
L’amour qu’il portait envers son pays et ses valeurs l’ont poussé à fonder l’ancêtre de la CIA, l’OSS, qui joua un rôle important lors de la Seconde Guerre Mondiale (ses espions apporteront notamment 80% des informations opérationnelles et essentielles au succès des troupes alliées).
Il montre tout d’abord que l’espionnage, quoique immoral par ses méthodes (la torture, le vol de renseignements, le sabotage, le mensonge, la dissimulation de la vérité) est indispensable à la préservation de l’indépendance des Etats-Unis, que les moyens mis en place pour obtenir les informations nécessaires à la protection du système ne reposent pas sur les principes de la République en termes de moralité et de légalité. Et enfin qu’il peut y avoir un conflit de valeurs pour les individus effectuant ces tâches. Cependant, il faut faire face à un ennemi qui utilise la peur donc tout espion utilise des méthodes identiques selon l’adage « on combat le feu par le feu ».

2. Nancy Wake, une espionne australienne

Nancy Wake, née le 30 août 1912 à Wellington en Nouvelle Zélande est une espionne d’origine Australienne. La jeune fille fugue à l’âge de 16 ans et devient infirmière. Un héritage imprévu d’une tante lui permet quelques années plus tard d’accomplir son rêve d’évasion. Elle part alors à New York, puis à Londres où elle apprend le journalisme. Elle arrive finalement à Paris au début des années 30 et devient la correspondante européenne du groupe de presse américain Hearst.
En 1935, Nancy décroche une interview avec le chancelier Hitler lui-même. L’homme est charmant et tout se passe bien, jusqu’au soir où une scène qui la marquera à vie fera d’elle une opposante au III Reich : une petite troupe de nazis a arraché une famille de commerçants berlinois à leur magasin et les a attachés, nus, à de grandes roues de charrettes. Impuissante, la journaliste va assister à leur supplice, ils seront fouettés et roulés le long des rues par des hommes hilares au milieu de torches et d’injures.
Nancy dira plus tard : « je me souviens être restée plantée là et de m’être dit : « je ne sais pas ce que je ferai pour ça, mais si un jour j’en ai les moyens, je le ferai » ». Ses valeurs morales (liberté et égalité) entraient en totale opposition avec les valeurs Nazis qui pronaient la supériorité de la race et l’extermination de ce qu’ils considéraient comme des êtres inférieurs.
En 1936, Nancy est de retour en France. Elle y rencontre un milliardaire qu’elle épouse en 1939, Henri Fiocca. Avec l’argent de son mari, le couple va alors créer suite à la capitulation française en 1940, un des premiers réseaux de résistance. A eux deux, ils vont s’engager dans la désobéissance civile, vont s’opposer, ici indirectement, aux lois et au pouvoir politique français.
Depuis Marseille, le couple se lance dans ce qui sera sa spécialité : le recueil des pilotes anglais abattus en France au cours de leurs missions. Il faut les soigner, leur procurer de faux papiers, de l’argent, un abri, de la nourriture, des plans, des contacts et surtout les exfiltrer pour qu’ils puissent reprendre le combat. En tout, plus de mille personnes profiteront du réseau du couple. En première ligne, Nancy pilote une filière d’extraction vers l’Espagne, elle deviendra un messager.
Mais en 1943, les Allemands commencent à être très énervés par Nancy. Ils ne savent à peu près rien d’elle, si ce n’est qu’elle les ridiculise. La Gestapo lui attribue alors un nom de code : ‘‘Die Weiße Maus’’, la Souris blanche. Nancy sera alors tout en haut de la liste des personnes les plus recherchées, avec une prime de 5 millions de francs pour celui qui la livrera.
Ce qui devait arriver survint : trahie, Nancy est arrêtée en cherchant à fuir grâce à sa propre filière. Pendant quatre jours entiers elle va être blessée, torturée mais lors de ces quatre jours la Gestapo n’obtiendra strictement rien d’elle, pas un mot, pas même son nom. Ils vont finalement décider de la relâcher. Son mari, moins chanceux, est arrêté à Marseille, où il sera torturé et exécuté, refusant avec obstination de donner la moindre indication au sujet de Nancy. Cette dernière n’apprendra sa mort qu’à la fin de la guerre.
Nancy va finir par venir à Londres où le SOE (Special Operations Executive) l’accueillera à bras ouverts. Elle subira un entraînement d’agent secret et s’entraînera à toutes les techniques d’espionnage ; tir, espionnage, explosifs, sabotage...
En avril 1944, elle est parachutée au beau milieu de l’Auvergne. Nom de guerre : « Hélène ». Nom de code en opération : « Witch », la sorcière. Sa mission sera d’établir des stocks d’armes et de munitions, de construire avec les maquis locaux un système de communication par radio et de prendre la tête d’un réseau de résistance chargé d’affaiblir les lignes allemandes en préparation du Débarquement en Normandie. Avant et après le jour J, Nancy mènera directement toute une série d’opérations de guérillas et de sabotage. Elle fait exploser des ponts, des voies ferrées...
La paix enfin revenue, l’ancienne résistante regagne l’Australie. Elle se présente sans succès aux législatives de 1949 et 1951 puis repart en Angleterre où elle épouse en secondes noces John Forward, pilote de la Royal air force. Le couple revient en Australie dans les années 60.
A la mort de son second mari, elle retourna à Londres. Veuve de nouveau, elle y décèdera en 2011, à l’âge de 98 ans. Nancy sera la femme la plus décorée de la guerre avec une Légion d’Honneur au grade d’officier, la médaille de la Résistance, la médaille du roi Georges et la Croix de guerre. En 2013 ses cendres, comme elle le souhaitait, vont être dispersées au-dessus de l’Auvergne, près de son ancien maquis.
Les espions étrangers qui ont aidé à libérer la France durant la Seconde Guerre Mondiale l’ont fait soit par devoirs (militaire, civique, par exemple), soit par désir personnel : sentiment de révolte, vision ou même vécu de la cruauté du Nazisme qui les ont poussés à agir ainsi. Dans le cas de Nancy, ses principes s’opposaient à ceux des Nazis et ce sont ses valeurs démocratiques qui la poussèrent à se dresser face à cette tyrannie, malgré ses doutes, ses peurs et le risque de mourir.

Conclusion

L’espionnage étranger durant la Seconde Guerre Mondiale se caractérise donc par des réseaux liés entre eux par une même histoire. Leurs agents, courageux hommes et femmes, avaient en commun des idées et des intérêts dans le but final de préserver la démocratie. Ils partageaient des valeurs tels que le patriotisme, la liberté, l’égalité, l’envie d’être utile ou parfois tout simplement le besoin d’argent. Pour protéger ce qu’ils estimaient être essentiels, ils endossèrent différents rôles et statuts, mirent en œuvre une solidarité forte, et ce malgré les trahisons.
Leur patriotisme ou leurs intérêts personnels les poussaient à s’engager pour libérer la France des Nazis. Beaucoup d’entre eux risquaient leurs vies chaque minute de chaque jour uniquement par leur présence sur les territoires ennemis ou à cause des informations qu’ils transportaient. Beaucoup d’entre eux n’en ressortirent pas. Nancy Wake, Yeo-Thomas, Hans-Thilo, Jean Moulin et tant d’autres, étrangers ou non, furent capturés et torturés (souvent à mort) par les membres de l’Axe. Malgré cela, malgré tout, la défense de la liberté était un but plus important que leur propre vie.
Qu’est devenue, avec le temps, cette coopération entre les services de renseignement ? Rapidement, la guerre froide rebâtit les cartes des liens entre les anciens alliés de la Seconde Guerre Mondiale. Puis, progressivement, les concurrences économique et stratégique entre États conduisirent à une extrême compétition pour contrôler et acquérir l’information. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les principaux réseaux d’espionnage occidentaux sont en conflit entre eux. La CIA, par exemple, espionne le gouvernement français alors que la DGSE, lointaine héritière du BCRA (Deuxième Bureau) s’y oppose en cherchant à protéger notre territoire. Néanmoins, dans des cas d’extrême urgence, face à un ennemi commun tel que le terrorisme, les agences doivent coopérer.

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